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L'histoire d'Emma (fiction sur une thyroïdienne -Premières )

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nuitdechinehors ligne
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Hashimoto diagnostiq...
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MessageL'histoire d'Emma (fiction sur une thyroïdienne -Premières )

 
Posté le: 22. Jan 2023, 16:40
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Bonjour bonjour !
Cela fait longtemps que je ne viens pas sur ce forum qui m'a tant aidée lors des heures sombres !
Aujourd'hui, à l'occasion du concours "Dis-moi 10 mots" de la francophonie, je vous livre les trois premiers chapitres d'une fiction centrée autour d'Emma, une patiente atteinte de la maladie de Hashimoto.

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La vie d'Emma était rythmée par les défis qu'elle relevait. Tout savoir, tout connaître, tout expérimenter. Être au plus vite la plus performante possible. D'aucuns pourraient objecter que 8 ans, pour écrire une thèse, ce n'est pas ébouriffant. Sauf que, petit détail, elle travaillait pour payer ses études. Le tout, en préparant son futur - articles, colloques, animation d'ateliers de doctorants - et en participant pas mal au mouvement de défense les droits des prof de FLE. Emma vivait sa vie dare-dare et n'en avait pas marre !

Jusqu'au matin de son 36e anniversaire. Au centre de radiographie, on avait mis un nom sur l'intense langueur qui la terrassait. Hashimoto. Ça sonnait comme un film de Duras. Hashimoto mon amour, se répétait-elle sur une petite musique à 3 notes, la tête vide. Elle était à des années-lumière de prendre la mesure du diagnostic. Elle était encore plus loin (infiniment est l'adverbe qui devrait convenir ici) de subodorer qu'elle allait un jour considérer ce cataclysme comme une bénédiction.

Mais revenons à Emma. Au vu des radios, la généraliste l'envoie chez un endocrinologue, lequel l'expulse de son cabinet avec une ordonnance en main (Levothyrox, 25 μg, le matin) et un ordre : revenez me voir quand vous serez enceinte.

Enceinte ?! Ce n'était, mais alors pas du tout au programme ! Quoique. Une semaine plus tard, nouveaux résultats : HPV. Sur le champ, son psychiatre (elle pleurait tout le temps) entreprend de lui décrire les étapes d'une ablation de l'utérus. Bon, ne pas vouloir d'enfant, c'est une chose. Être empêchée d'en avoir, c'est pas pareil. D'un coup, elle regrette. Tout. L'avortement à 22 ans, les stupides fanfaronnades de célibataire, le mépris pour le tic-tac du désir des autres, et, surtout, là tout de suite, d'être encore confrontée à un soignant sans empathie.

Quelles étaient les probabilités de tomber sur un psychiatre présentant autant d'affinité naturelle avec son métier, que le prof de communication qui fait son cours tournant le dos à ses élèves, pour lire - à voix à peine audible - les tout petits caractères de son powerpoint ? Et misogyne. Et con ! Envie de lui parler de l'ablation de son gland sur un ton badin, tiens !!

D'autant que l'incompétent s'était emballé un peu vite. Il fallait juste rester vigilant, les cellules n'étaient que pré-cancéreuses. Ok, on reste vigilante, alors. Et on commence sérieusement à cogiter. Enfin, si l'on considère que dormir 16 heures par jour, en réitérant, dès l'avant-jour, le cycle se traîner / manger à même la boîte / lambiner / se recoucher / dormir 2 heures / recommencer... est assimilable à une forme de méditation sur le sens profond de l'existence !

Au cœur du marasme, alors qu'elle est en train de tout perdre - collègues, travail, amis, avenir, réputation, estime de soi et corps de rêve - elle arrive soudainement à s'arrêter, à vraiment s'arrêter et à se demander : qu'est-ce qui me ferait du bien ? Et là, commence l'autre moitié de sa vie. Très, très, trèès lentement.

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« La levothyroxine est un médicament à marge thérapeutique étroite avec une demi-vie de 6 à 8 semaines ». Décodage : une erreur de quelques microgrammes peut vous intoxiquer, mais doucement. C'est très contre-intuitif ! Pour tout le monde, l'efficacité à petite dose, c'est rapide, genre wasabi. En vrai, la quête du dosage parfait est une interminable attente ponctuée de prises de sang. Chose qu'Emma ignore encore.

Pour l'heure, elle apprend dans sa chair ce qu'est une maladie auto-immune de la thyroïde. Son corps attaque l'organe qui – insoupçonné – était au cœur de sa personnalité. Énergique, infatigable, ponctuelle, fiable, travailleuse, précise, articulée, organisée, joyeuse, pleine d'appétit... Hahaha ! C'est finii ! Ça, c'était avant !

Elle hait le corps dans lequel elle est emprisonnée. Cet individu paresseux, apathique, velléitaire, étourdi, pleurnichard, incapable d'aligner deux idées cohérentes et quasi-obèse, en plus ! Elle a honte, elle est fatiguée. Tellement, qu'elle se retire. Allongée sur son canapé, entourée de boîtes de thon à la Catalane, incapable de lire, ou même de suivre les séries américaines les plus débiles, elle entre en hivernage.

Un jour, pourtant, alors qu'elle scrute les taches jaunâtres au plafond (son studio a été habité par une flopée de fumeuses) elle prend une décision. Elle va repeindre ! Ça va faire du bien, ça ! Aussitôt dit, aussitôt... fait plus tard... Mais, hey ! Elle a accompli quelque chose ! Forte de ce premier pas, elle s'en va décrocher l'armoire suspendue de la salle de bain. Pourquoi ? Nul ne le saura, elle-même étant infichue de remonter le fil de son raisonnement.

Elle dévisse les attaches supérieures, quand elle réalise qu'elle ne saura pas retenir tout ce poids. Elle lâche tout et se jette dans la baignoire. Dans un mouvement magnifiquement synchrone, l'armoire se détache du mur. Comment une vis a-t-elle pu lui taillader le dos ? C'est un mystère qu'elle ne cherchera pas à élucider. Car elle s'est vu mourir, en petite culotte, pas épilée, seule, assassinée par un meuble. Elle décide en cet instant de chercher une colocation.

La voilà à Montreuil, dans une chambre en nid d'aigle, chez (ça ne s'invente pas) Conchita. Elle cherche des médecins à proximité. Dans une sorte de déjà-vu abrutissant, les mêmes remarques avilissantes et la même méconnaissance de sa condition l'accueillent à chaque rendez-vous. Vos taux sont bons, c'est la vieillesse. Il faut maigrir, faites du sport. Rien concernant le long processus permettant de sortir de l'abîme. Et une indifférence à ce qu'elle a perdu de plus cher : la mémoire.

Incapable de retenir l'instant passé ou de projeter quoi que ce soit, elle flotte dans un présent continu. Son organisme a réussi à mettre en pause sa course folle. Elle n'en tire pourtant aucune leçon : elle avait été une autre et s'agrippe encore à ce passé plus-que-parfait. Tel un bernard-l'ermite dans sa nouvelle coquille, elle attend le retour à la normale. Mais la maison est une chrysalide.

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Emma se cherche. Elle a trop brûlé de ponts pour retourner voir ses collègues universitaires et se sent trop fragile - trop différente - pour affronter une classe. Le cerveau en bouillie, suivant sa logique propre, elle se convainc qu'il vaut mieux qu'elle travaille avec des chiffres. Des tableaux excel, des budgets. Facile !

Elle se retrouve bénévole (donc pas totalement inconsciente) quelques heures par semaine, dans une petite association brésilienne indiquée par sa logeuse. Elle se charge des dossiers de demande de financements (un peu dingo quand même !).

Sauf qu'elle n'a plus sa dose : les rythmes, les tournures, les tics, les timbres, les sonorités qui avaient peuplé son quotidien lui manquent, physiquement. C'est cette addiction à l'épaisseur de la parole humaine qui faisait d'elle, du fond des tripes, une linguiste.

C'est là qu'intervient Conchita. Ah ! Conchita ! Terrible créature ! Mère espagnole, père brésilien, jeunesse punk, puis mariage sans futur. Son équilibre, elle l'avait trouvé dans le transformisme. Le jour, elle continuait de donner les cours de harpe qui payaient ses factures. La nuit, elle incarnait tous les personnages de son imaginaire. Et il y en avait ! Un geste, une intonation, un regard... Pof ! Encore un ! Génial.

Celle-ci avait réussi à traîner Emma à une scène slam. « Ça va te faire du bien, tu vas voir » avait-elle affirmé, péremptoire, en mettant sa casquette. Elle avait un sublime je-ne-sais quoi langoureux dans la voix. Et Emma réstistait mal aux accents quasi-indétectables. Tel un chien reniflant une vague odeur de sang, elle ne savait pas les lâcher, espérant à tout prix en situer la source.

La scène ouverte de poésie se déroule dans un vieux troquet au cœur de Montmartre. Dès la porte de la petite arrière-salle, Emma sait qu'elle est chez elle. Dans les lumières tamisées, une foule hétéroclite de tous les âges s'entasse sur la banquette en velours carmin qui court le long des murs.

Elle respire fort, réchauffée par les pauses émues et les envolées lyriques des éclopés et des passionnés, des rigolards et des enragés, des militants ou des messies qui passent du public à l'estrade. Grande performeuse ou garçonnet hésitant, chacun y a sa place, pour 3 minutes. C'est tellement bon ! Un peu grise, dans l'odeur fauve de ses congénères, elle voit s'éveiller une facette d'elle-même inconnue : la poétesse.

Pour la première fois de sa vie, elle prend le temps d'écrire pour elle. Cela lui redonne de la clarté. Tellement, qu'elle affronte le président de l'association brésilienne. Comme beaucoup de fonctionnaires, de gauche, il soutient les droits des travailleurs, mais n'a pas prévu d'argent.. pour la prime de précarité et les congés payés de Iara, la secrétaire en CDD !

Emma monte au créneau, trouve des solutions, se bat pour une éthique du travail en accord avec les principes du lieu et, évidemment, pour la rémunération de la salariée. Tant et si bien, qu'un beau jour, elle est invitée au Brésil, dans la famille de Iara.

Les 10 mots imposés par le concours :
Année-lumière, avant-jour, dare-dare, déjà-vu, hivernage, lambiner, plus-que-parfait, rythmer, synchrone, tic-tac

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"On a deux vies. La deuxième commence quand on se rend compte qu'on n'en a qu'une." (Confucius)
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